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Lors de la création de l'univers...



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    Lors de la création de l'univers et de la vie, du ciel et de la terre, de la lumière et des ténèbres, du sol et des mers, et enfin du jardin d'Eden où Il plaça Adam et Eve, Dieu ne construisit aucune ville.

    Cela ne faisait pas partie de ses plans ! C'est étrangement Caïn qui fut non seulement le premier enfant né, le premier meurtrier assassin de son frère Abel, le premier maudit et le premier errant en punition de son crime, mais aussi le premier constructeur de ville !

    Cette ville appelée Hénoch du nom de son propre fils, fut d'ailleurs engloutie sous les eaux coléreuses de Yahvé lors du déluge au temps de Noé.
     

    Mais pourquoi donc le Dieu de l'Ancien Testament ne semble t il pas trop apprécier la ville ?

    Sodome et Gomorrhe furent d'autres villes construites par les hommes et anéanties par dieu, par une pluie de soufre et de feu à cause de la perversité des hommes. Mais, avant l'extermination de ces deux villes, L'Éternel descendit sur la terre et détruisit la cité et la Tourde Babel. Le Dieu de l'Ancien Testament n'aime pas trop la ville. Toutes ces villes citées sont frappées dès leur origine par la malédiction divine. Pourquoi ?

    Envisageons une première hypothèse : Si la vie est l'œuvre de Dieu le Père, par contre la ville est une invention humaine. Elle symbolise d'une certaine façon le ventre maternel, puisqu'elle abrite en son sein ses habitants, comme une mère protège ses enfant. Est-ce alors par jalousie rivale à l'égard de la femme-mère que Dieu le Père décréta l'abolition de ces villes ? S'agit-il là de l'une des conséquences de la non-résolution du complexe œdipien divin faute de psychanalystes et de psychanalyse en ces temps-là ?

    Cette hypothèse serait à priori séduisante, d'autant plus qu'elle se vérifie chez les humains régulièrement. Certains pères immatures supportent en effet difficilement la triangulation œdipienne lors de l'arrivée de l'enfant. Cronos dévora bel et bien sa progéniture menaçante afin de ne pas perdre l'amour exclusif de Géa. Zeus ayant extrait Dionysos du ventre de Sémélée, sa femme enceinte, le plaça dans sa cuisse, aménagée en utérus pour la circonstance ; tout ceci pour accoucher lui-même de l'enfant et supprimer ainsi tous les risques d'une triangulation menaçante.

    Mais Yahvén'est pas comparable aux dieux grecs ou aux misogynes de nos théâtres de Boulevard. Il n'a ni femme ni enfant qu'II crée selon sa volonté transcendante. Si lui-même n'est pas une femme, Il chérit singulièrement la femme à qui Il ne commande ni n'interdit jamais rien, puisqu'II adresse la totalité de ses 613 commandements à l'homme masculin. Il n'éprouve, enfin, aucune crainte face à la triangulation œdipienne puisque son premier commandement, et de loin le plus important, exhorte toutes ses créatures vivantes à se procréer, à se multiplier dans les mers, dans le ciel et sur toute la surface de la terre : "C'est pourquoi l'homme abandonne son père et sa mère et s'unit à sa femme" Dieu fait donc, dès la conception, partie du triangle. Telle est la première hypothèse.

    Des humains obéissants

    La seconde hypothèse serait peut-être que la colère de Yahvé contre la ville s'expliquerait par sa jalousie rivale de n'être pas lui-même l'inventeur reconnu de cette œuvre, dont le mérite revient à l'intelligence et à la créativité humaines. Dieu apparaîtrait ici comme un dictateur, comme un despote égoïste et intransigeant, exigeant des humains une obéissance absolue et les punissant de toute velléité de révolte, de création ou d'indépendance.

    Caïn, le premier constructeur de ville, peut symboliser, en effet, la responsabilité humaine ; représenter l'homme qui s'oppose à Dieu, revendiquant sa propre part dans l'œuvre de création afin que Dieu ne soit pas tout et l'homme rien, réduit au silence, manipulé comme un automate. L'image de Caïn correspondrait dans ce sens à celle de Prométhée, et à sa tentative en dérobant le feu de conquérir pour l'Humanité un pouvoir jusque là divin, afin de la libérer de sa dépendance totale. A l'image de Laïos (qui exposa son innocent Œdipe à la mort sur le Mont Cithéron, afin de supprimer radicalement le risque d'être dépassé par sa progéniture menaçante), certains pères jaloux empêchent inconsciemment l'ascension de l'adolescent en refusant d'être dépassés, de se laisser remplacer par la génération montante. C'est précisément cela le sens du conflit des générations, entre les fils qui cherchent à grimper et les pères qui refusent de redescendre.

    Mais Yahvé n'est pas Laïos en rivalité jalouse contre ses enfants qu'il exhorte au contraire à vivre, à se libérer de l'esclavage (égyptien ou autre) pour aller de l'avant : s'II leur impose la Loi, ce n'est point pour réduire leur volonté à néant, mais pour qu'ils évoluent grâce au conflit dans les limites structurantes.

    La psychanalyse nous montre en effet que la maturation psychique ne se réalise pas harmonieusement ; elle n'est pas offerte sur un plateau d'argent. Tout progrès s'inscrit dans une tension, dans un rapport conflictuel, avec tout ce que cela suppose de transgressions nécessaires et de déchirements. L'adolescent ne peut se hisser au rang d'adulte qu'en effectuant la mise à mort symbolique de l'image de son père jusque là toute puissante. C'est la raison pour laquelle les relations de l'Éternel avec ses élus s'inscrivent dans un contexte de lutte, de révolte et de transgression : (Exemples : Eve passant outre l'interdit divin, Abraham protestant contre la destruction de Sodome et de Gomorrhe, Jacob luttant contre l'ange et Moïse frappant le rocher au lieu de lui parler.)

    Regardons maintenant une troisième hypothèse :

    Si l'Éternel n'apprécie pas trop la ville, c'est peut-être parce qu'il craint (non pour lui-même, mais pour les humains) l'immobilisme et la sédentarisation à outrance. La ville représente l'immobilisme de l'immobilier, le signe de la sédentarisation des peuples nomades. Traditionnellement construite sous forme carrée, elle symbolise la stabilité, tandis que les tentes ou les camps nomades sont le plus souvent ronds, symbole de changement et de mouvement. Précisément, la Psychanalyse et l'Ancien Testament ont tous les deux horreur des eaux mortes parce que stagnantes. Tous les deux appréhendent la vie, intérieure ou relationnelle comme un cheminement, un devenir, une marche, un perpétuel mouvement. Il a fallu quarante ans de marche dans le désert pour transiter d'Égypte à la terre promise de Canaan. Quatre jours auraient suffi probablement.

    Rien n'est figé, ni aucune vérité close

    Toute notre vie est une cascade ininterrompue de séparations, de départs et d'exils déchirants. Nous transitons sans cesse d'un âge à un autre, emportés par le courant à travers l'enfance, l'adolescence, l'âge adulte, la vieillesse et la mort. Cette dernière n'est d'ailleurs pas la fin de tout, mais un passage parmi d'autres et la vie continue. Rien n'est définitif, figé, ni aucune vérité close. Tous les élus de Dieu se recrutent hors des notables enracinés, parmi les nomades, bergers en mouvement : Abel était pâtre, comme Abraham, comme Isaac, comme Jacob et comme Moïse, en cheminement. Le vrai homme est un pèlerin voyageur, exilé, errant.

    La vie est un long fleuve qui ne coule pas tranquillement. Toute fixité est inévitablement porteuse d'inertie et de mort. Dieu n'aime pas la ville à cause de ses risques de sédentarisation et d'invariabilité. Contrairement aux deux hypothèses précédentes, celle-ci est cohérente.

    Voyons maintenant les messages que pourrait nous livrer l'interprétation psychanalytique du mythe de la Tour de Babel :

    En voici le récit : "Toute la terre avait une même langue et des paroles semblables" (…). Ils se dirent l'un à l'autre : " Allons, bâtissons nous une ville et une tour dont le sommet atteigne le ciel, faisons-nous un nom pour ne pas nous disperser sur toute la surface de la terre…. "

    L'Éternel dit : " Voici, ils sont un seul peuple et ont tous la même langue…. Allons, descendons et ici même confondons leur langage, de sorte que l'un n'entende pas le langage de l'autre. " L'Éternel les dispersa de ce lieu sur toute la surface de la terre et les hommes renoncèrent à bâtir la ville. C'est pourquoi on la nomma Babel ; parce que le Seigneur confondit le langage de toute la terre, et de là, L'Éternel dispersa les hommes sur toute la face de la terre.

    Quelle fut la raison profonde de cette destruction ? Quelle était l'impardonnable culpabilité de cette génération ? Étrangement, le texte ne mentionne aucun motif manifeste. Il semblerait même, d'après les commentateurs, que la génération de la Tour de Babel, exempte de toute méchanceté, était habitée au contraire d'intentions positives et salutaires. Il s'agissait de rassembler les contemporains de toutes races et de toutes classes sociales confondues en une même contrée, en vue de concentrer les efforts collectifs pour la découverte des forces cachées de la nature, dont la mise en valeur serait susceptible de protéger le genre humain contre les calamités et catastrophes naturelles et contre les puissances maléfiques, comme la misère, la maladie et la guerre.

    Dieu était-il devenu fou ?

    Alors, Dieu était-il devenu fou ? Pourquoi s'acharnait-il de la sorte contre l'érection de la ville, en tant que création humaine ? Rectifions d'abord un malentendu. En fait, Dieu n'a aucune animosité envers la ville, mais envers ce qu'elle symbolise, sinon Il n'aurait pas lui-même promis l'accession de ses élus à la ville sainte de Jérusalem. La génération de la Tour de Babel ne commit aucun péché manifeste, sinon celui qui consiste à ne point en commettre, et cela constitue pour Yahvé le plus grand des péchés. Toutes les sauvageries et violences ont de tous temps été commises, tous les sangs ont été versés au nom de l'Amour, de la Charité et du Bien, dans le but affiché de déraciner l'imperfection et le Mal. Les pires crimes ont été perpétrés par des idéologies convaincues d'incarner la Vérité et le Bien, se croyant chargées de la suprême mission de déraciner le mal en nettoyant la planète pour la débarrasser de tous ceux qui à leurs yeux incarnaient le Mal. Elles ont toutes promis le salut, la liberté, l'amour, la bonté, l'harmonie, la paix, l'ordre, la solidarité, la justice, la richesse et la fraternité ; mais elles n'ont en réalité cultivé que la haine, le sang et la misère. (Exemples : les croisés au Moyen Âge assassinant des populations entières sur leur passage, sous prétexte de libérer le tombeau du Christ, ou encore le fascisme hitlérien et les goulags, au nom d'autres idéologies !)

    Regarder le mal en face !

    Que d'hommes tombés comme des feuilles sur les champs de bataille, éblouis par des mots creux mais hélas, mortels. Il ne peut exister aucun bien sans le Mal. Il vaut mieux regarder le Mal en face, en prendre conscience, le gérer et l'intégrer plutôt que de s'exposer à ses ravages, s'il est refoulé dans l'inconscient. La génération de la Tour de Babel en évacuant le Mal visait la perfection humaine, déniant comme il est écrit : "que le penchant du cœur de l'homme est mauvais dès son enfance." Si "la perfection n'est pas de ce monde", cela signifie que l'homme parfait n'est plus humain, mais qu'en sortant de ses limites, il prétend s'ériger au rang divin, par définition " inatteignable ".

    En dehors de cette notion capitale, trois autres raisons expliqueraient la colère destructrice de Yahvé contre la cité et la Tour de Babel.

    Première raison : l'Homogénéité

    Le texte précise clairement cet aspect en soulignant que toute la terre avait une même langue et des paroles semblables, qu'ils voulaient bâtir une seule ville, et pas plusieurs, afin de se donner un nom, et pas un nom pour chacun mais le même nom pour tous. Dès lors, la colère divine devient intelligible et cohérente par rapport à l'idéologie de l'Ancien Testament. L'idéal de cette génération était celui de l'uniformité, de l'indistinction, de l'indifférenciation et du mélange, alors que le message "Ancien-Testamental" est celui de la séparation, de la différenciation, de l'hétérogénéité, de la distinction et de la singularité. La génération de la Tour de Babel privilégiait le collectif, l'objectif, la grégarité moutonnière, alors que l'Ancien Testament privilégie l'individuel et le subjectif.

    Moïse n'abandonna-t-il pas tout son troupeau à la recherche d'une seule brebis égarée ?

    N'oublions pas que L'Éternel avait créé l'univers et tous les vivants, par le biais de sa parole tranchante, en procédant à des différenciations-séparations progressives à partir du tohu-bohu originaire, homogène, chaotique et sans forme. Il sépara la lumière des ténèbres, le ciel de la terre, celle-ci des eaux qu'il nomma mers. Dieu ordonna à la terre de produire des herbes et des arbres, chacun selon son espèce. Il sépara le jour de la nuit, les étoiles du soleil et de la lune. La terre produisit des êtres animés selon leur espèce, bétail, reptiles, bêtes sauvages de chaque sorte. Dieu créa enfin l'homme Adam, d'abord androgyne, mâle et femelle, mais le divisa ensuite en Adam homme et Eve femme séparés, différents.

    La nécessaire différenciation

    Ce concept de différenciation constitue aussi la clé de voûte de toute la pensée psychanalytique. A sa naissance, l'enfant vit dans un état de fusion et de tohu-bohu. Il ne distingue rien de rien : ni la chaise du chien, ni sa tête de son bras, ni maman de papa, ni même la nuit du jour ou hier d'aujourd'hui et de demain. Il est tout. Tout est lui dans l'indifférenciation la plus totale. Toute son évolution intérieure consistera, de la naissance jusqu'à l'échéance, à se distinguer de son environnement. Il réalisera peu à peu qu'il est un être vivant différent des objets inanimés, qu'il est humain différent de l'animal. Il réalisera plus tard qu'il est garçon ou fille mais pas les deux simultanément, qu'il est plus jeune face aux plus grands. Enfin qu'il est mortel, faible, limité et éphémère, face à l'immortalité, l'éternité et la toute puissance. Il différenciera de même l'intérieur de l'extérieur, la réalité des fantasmes, le possible de l'impossible, le conscient de l'inconscient. Toutes ces séparations progressives, surtout la différenciation des sexes et des générations, décideront de la constitution de son psychisme singulier, de son propre désir, de sa vision du monde et des choses, subjective, non aliénée, non calquée sur celle de ses parents. Pour la psychanalyse, la santé mentale est le fruit de ces différenciations, alors que la maladie est le symptôme de la fusion homogène.

    Est adulte celui qui serait capable de parler sa propre parole, d'habiter son propre corps, et d'assumer son destin en son propre nom.

    La Tour de Babel est condamnable parce qu'elle représente la remise en question de l'hétérogénéité et la régression vers le tohu-bohu indifférenciant.

    Seconde raison : la promiscuité

    L'intention avouée de la génération de la Tour de Babel était celle de se concentrer en un lieu unique, comme un essaim d'abeilles, pour empêcher sa dispersion sur toute la planète. L'Éternel ne pouvait bénir un tel idéal contraire à ses commandements, maintes fois répétés à ses créatures, de fructifier, de remplir toute la surface de la terre et non pas un espace unique. Le désir de promiscuité est l'autre face de la tentation de la régression vers le tohu-bohu fusionnel. La promiscuité s'oppose à la différenciation.

    La promiscuité, cause de rupture

    La psychanalyse nous apprend en effet qu'aucun lien, qu'aucune relation-rencontre, qu'aucune communication entre soi et autrui n'est possible sans un minimum d'écart et de distance. L'absence de territoire spécifique, de limite, de mur, de barrière, de cadre et de frontière entre les corps et les identités est toujours source d'insécurité, terreau de mal-être et de violence.

    La promiscuité est toujours cause de rupture, de rejet et d'éloignement. A l'intérieur de la même superficie, au-delà d'un seuil démographique, il se produit automatiquement entre les individus des phénomènes de répulsions et d'intolérance, comme au sein des grandes foules agglutinées, des grandes concentrations urbaines saturées/saturantes. Paradoxalement, en deçà d'un seuil démographique, comme dans les campagnes, les individus se recherchent et se rencontrent mutuellement. Voici pourquoi toutes les rencontres importantes ont lieu dans les déserts, dans les contes et légendes comme dans l'Ancien Testament.

    Les expériences effectuées sur des souris de laboratoire démontrent clairement leur convivialité pacifique lorsque chacune peut jouir d'un minimum d'espace vital sans encombrement. Si dans le même territoire leur nombre est multiplié par dix, les mêmes sujets paisibles jusque là s'agressent et s'entre-déchirent sauvagement. Évidemment, la distance n'est pas une réalité géographique uniquement. Si la promiscuité est déstabilisante, c'est parce qu'elle engendre la nudité et la transparence, supprime les frontières, introduit la confusion entre l'intérieur et l'extérieur, le privé et le public, le dehors et le dedans, l'intime et le collectif, le moi et le non moi.

    Dieu, permet à l'homme de ne pas se prendre pour Dieu

    Ce qui est remis en cause dans le manque de distance, c'est l'identité de chacun, le sentiment ineffable d'être soi-même, habiter son corps à soi, à l'intérieur des limites et des cadres. Rien n'est plus angoissant qu'une identité corporelle et psychique incertaine, floue, inconsistante, vacillante. Ne pas savoir qui on est engendre l'insécurité et la violence.

    Troisième raison : la mégalomanie

    Enfin, si Dieu descendit sur la terre pour empêcher la construction de la cité et de la Tour de Babel, ce fut parce que les humains voulaient que le sommet de leur tour atteigne le ciel. Ils voulaient édifier un gratte-ciel, en somme (qui, comme son nom l'indique, gratte, écorche le ciel).

    En fait, l'intention secrète de cette génération en cherchant à gratter le ciel camouflait leur mégalomanie, leur idéal orgueilleux de se passer de Dieu, de remettre en cause la séparation radicale entre le haut et le bas, entre l'humain et le divin, sombrer dans la régression archaïque et déstructurante. Se passer de Dieu, puisque Dieu n'existe pas, ne signifie malheureusement pas sa mise à mort, mais refuser ses propres limites et manques, vouloir édifier l'histoire selon ses initiatives capricieuses du moment, caresser le fantasme d'une liberté sans bornes et toute puissante.

    Nier Dieu, c'est nier l'esprit, l'inconscient. C'est croire que la raison, le savoir, la technique, la production, la croissance, le confort, l'industrie et la science sont suffisantes pour le bonheur du genre humain et que l'on pourrait supprimer les limites qui nous transcendent. Nier Dieu comme symbole, c'est croire que l'homme, bon par essence, est capable de désirer, de décider, de gérer, de maîtriser lui-même ses pulsions et son destin, sans entrave et sans aucun compte à rendre.

    Nier la transcendance, c'est devenir soi-même Dieu, Tout Puissant. Le concept de Dieu, le plus beau symbole et la plus intelligente de toutes les inventions humaines, n'a d'autre fonction en fait que celle de protéger les humains contre la mégalomanie déstructurante. La soumission à la Loi transcendantale n'a d'autre fonction que de sauvegarder le moi, que celle de prémunir les humains contre l'esclavage pulsionnel, mais

    aussi contre l'aliénation face à la multiplicité des idoles, ou contre la tyrannie des petits chefs illuminés, aveuglants. Dieu, c'est celui qui permet à l'homme de ne pas se prendre pour Dieu. Il libère ainsi le moi de l'inflation sans limite afin de l'empêcher de se gonfler et d'éclater, comme la grenouille de La Fontaine, par sa toute puissance. Dieu occupe le ciel pour que l'homme, limité, puisse s'occuper de la terre. La différence entre l'athéisme et l'idolâtrie est radicale. Ce qui caractérise l'idéologie moderne n'est malheureusement pas l'athéisme, puisque Dieu n'est pas une réalité tangible et figurable, mais l'idolâtrie dans la mesure où les humains deviennent prisonniers de leurs propres œuvres qui leur échappent et les dépassent.

    En conclusion

    Nous pourrions dire que le Dieu de l'Ancien Testament ne nourrit aucune hostilité de principe contre la ville. Il s'insurge contre l'idéologie qui s'y exprime, y prend forme et se concrétise de manière sous-jacente.

    La ville est le reflet, l'image, le miroir, le fruit, l'enfant, l'ombre, ou le symptôme d'une civilisation ; et chaque culture a la ville qu'elle mérite. La ville n'est ni bonne ni mauvaise par essence. A double tranchant, elle peut être le facteur d'épanouissement ou devenir le fléau déstructurant. Elle est instrument d'épanouissement lorsqu'elle tient compte des nécessités du fonctionnement du psychisme inconscient. Elle est maudite et mortifère lorsqu'elle va à l'encontre des besoins fondamentaux des humains en les contrecarrant.

    Des arbres dans nos boites à lettres !

    La ville d'aujourd'hui est devenue un fléau à cause de ses dimensions de sédentarisation excessive, d'homogénéité à outrance, de promiscuité fusionnelle et de son enlisement dans le réel matériel sans le bol d'oxygène, sans la soupape de sécurité de la transcendance. En effet, les grands ensembles d'aujourd'hui sont trop "grands" et trop "ensemble". Ces " mégalo-villes " surpeuplées, dues, entre autres causes, à l'industrialisation dépeuplant les campagnes, se transforment en des monstres minotaures incontrôlables. Les tours de Babel poussent comme des champignons vénéneux ici et là ; avec leurs banlieues périphériques, lieux hybrides, bâtards, ni ville ni campagne. Elles s'étalent de façon cancéreuse comme les infinies tentacules d'un poulpe.

    La ville devient la jungle alors que la vraie jungle se déboise. Triste destin pour les arbres que celui d'atterrir dans nos boites aux lettres en papiers publicitaires annonçant les ventes promotionnelles de pâtes ou de papiers toilettes parfumés. Cette surpopulation, aboutissant nécessairement à la promiscuité et au manque de distance, se traduit comme chez les souris de laboratoires par le malaise, l'insécurité, la répulsion, le rejet et l'intolérance dont le racisme est un phénomène inévitable et inquiétant ; la solitude aussi : par manque de solitude, paradoxalement. Il est difficile de supporter sans trêve dans ces cages à lapins bétonnées, le bruit de la chasse d'eau du voisin, les aboiements du chien, les vagissements du bébé qui a soif ou celui des enfants qui ne veulent pas faire leurs devoirs, les hurlements de la femme qui refuse le devoir conjugal ou qui va incessamment atteindre l'orgasme. Ces bruits ne constituent pas de simples et passagers désagréments, mais remettent en cause les limites sécurisantes du moi en confondant l'intime et le collectif, le privé et le public, le dedans et le dehors. Tout ceci est ressenti comme si le corps non protégé était privé de sa peau, comme si on n'était plus chez soi, que l'on n'était plus soi

    Dans la même perspective, l'idéologie homogénéisante de notre modernité babélique ne peut guère soutenir les habitants des villes à se différencier les uns des autres valablement. Cette indifférenciation chaotique est repérable à tous les niveaux de notre existence. Les maisons construites naguère à l'image du corps, avec leurs architectures singulières, leurs rondeurs, leurs coins et recoins envoûtants, leurs alcôves (abritant, loin des regards, des secrets et tant de souvenirs d'enfance) ; ces maisons se transforment en d'exigus appartements carrés, empilés comme des boites d'allumettes, sans charme ni personnalité, agencés comme du papier millimétré, recouverts de papiers peints qui tristement se ressemblent tous. Cela offre au moins l'avantage de ne pas trop se dépayser si l'on est invité à prendre " l'apéro " chez le fameux voisin de palier !

    Cette homogénéité ne s'arrête pas là malheureusement. Elle touche comme une gangrène les rues et les magasins, les voitures qu'on dirait sorties de chez le même constructeur, des habits prêts-à-porter uni-sexe en acrylique ou en acétate. Le temps s'homogénéise aussi, les saisons se confondent puisque vous trouvez des fraises en décembre et du raisin en promotion chez Mammouth au printemps. Les jours de la semaine aussi maintenant qu'on milite pour l'ouverture des magasins le dimanche. Les âges aussi puisque les adolescents restent éternellement adolescents, les vieux refusent de vieillir et les adultes rêvent de redevenir adolescents à l'aide de liftings et de crèmes rajeunissantes.

    Les animaux et les hommes s'homogénéisent également, les humains s'animalisent et les animaux s'humanisent puisque les animaux de compagnie, autre fléau de notre temps, sont choyés, dorlotés, soignés, nourris avec des produits diététiques, habillés, coiffés, parfumés, psychanalysés même, remplaçant ainsi les vrais enfants que la bêtise des humains a délogé des utérus inutilisés, vacants. Les hommes et les femmes, le masculin et le féminin, sombrent dans l'équivalence des rôles et des fonctions également, puisque les femmes soi-disant libérées du despotique patriarcat, désertant la maison pour concurrencer les hommes, sont maintenant partout présentes, omniscientes, omnipotentes et n'ont même plus besoin d'un mâle pour avoir un enfant, grâce à l'insémination artificielle, et aux spermes congelés comme des poissons panés, que leur propose la Science.

    Pire encore ; les idéologies ont déposé le bilan, blanc bonnet, bonnet blanc, les intellectuels subversifs sont partis en vacances, le consensus et la cohabitation babélique règnent dans les subconscients. Heureusement qu'il y a encore la télé pour transmettre le match de foot ou l'inauguration de l'Euro-Disneyland.

    La pub et la télé érigées en seules références dictent sournoisement nos désirs et nos comportements.

    L'esclavage n'a pas disparu

    L'esclavage n'a pas disparu. Il est devenu psychologique.

    Les petits commerces de quartier, naguère lieux de rencontres privilégiés, sont écrasés en bouillie et digérés par ces temples de consommation que sont les méga-centres commerciaux, les hyper, supermarchés géants, offrant à la convoitise des pèlerins des rayons surchargés de tout et de n'importe quoi, produits homogénéisés fabriqués à la chaîne par les multinationales : des détergents pénétrant le cœur du linge, des télés, de l'huile à zéro pour cent, des désherbants, des aérosols, des vidéos pornos, des collants, du Coca Cola, des fours à micro-ondes et des yogourts fades, mais légers ; eh oui, pour être mince comme à la télé, calibré, pour avoir le même "look" et le même corps, sans culotte de cheval, ni gros seins. Nous retrouvons par conséquent à tous les niveaux l'uniformité babélique, un seul nom et un seul langage, c'est-à-dire la tentation moutonnière de parler, de penser, de sentir, de désirer, d'être moulés, homologués sans subjectivité, de façon semblable.

    Enfin, la ville moderne est un fléau parce qu'elle se passe de transcendance, en jetant aux orties les valeurs culturelles, en s'enlisant dans le culte du corps, de la matière et de l'argent, en croyant pouvoir combler les humains grâce à la consommation et à la croissance.

    Nous vivons curieusement dans une époque où l'inféodation à la matérialité la plus grossière et triviale coexiste avec les sectes les plus perverses et les fondamentalismes les plus servilisants. C'est précisément cela, comme au temps de la Tour de Babel, le retour du bâton, ou la colère du Dieu vengeur.

    Alors ? Que faut-il faire ? Toute question n'a pas forcément de réponse. Tout problème n'a pas forcément de solution. L'argent, étrangement cause de beaucoup de nos tourments, ne peut tout arranger, résoudre magiquement. La solution n'est certainement pas du côté des technocrates ou de tel ou tel ministre, maniant de beaux discours avec une "langue de bois". En psychanalyse, comme dans l'Ancien Testament, l'acte libérateur par excellence consiste à réfléchir, à s'interroger, à se réveiller, à comprendre, afin de devenir conscient.

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  • Kalessa

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